Humans

Relation Au Corps : mes choix, ma liberté

Suite de notre dossier de l’été dédié au corps, avec le témoignage d’Inès.

Rencontrée sur les bancs du lycée, j’ai connu cette jeune femme pleine de caractère bien avant sa conversion à l’Islam. J’ai été spectatrice de son chemin spirituel, de l’affirmation de ses choix ainsi que de la défense de sa liberté.

Oui – vous avez bien lu – je parle de « défense de sa liberté » car vous allez découvrir que la société lui fait parfois comprendre qu’elle en est dépourvue. Or, c’est oublié que la religion est une décision intime, personnelle, qui ne se commente pas. Qui ne se juge pas.
Ces tabous, ces clichés doivent être évoqués et déconstruits. Loin du prisme, souvent « déformant », des médias.
Inès m’a donc semblé être la meilleure interlocutrice pour le faire.

Notre entrevue s’ouvre sur ces quelques lignes…


Je te cache sous un voile pour que tu m’appartiennes à vie,
Que les gens ne te voient pas et ne donnent pas leurs avis.
S’il y a une chose avec  laquelle on doit s’entendre c’est bien toi
De la conception lorsque pas encore on ne te voit, 
et ce jusqu’à la fin, tu me suivras
Je te cache, te dissimule, me fais discrète
pour n’a pas que sur mes blessures
On écrive un pamphlet
Tantôt trop fin tantôt trop gros, 
Tu joues telle une main avec un yo-yo

Texte écrit par Inès

Team Jaïne&Co : Peux-tu nous dire quelle relation entretiens-tu avec ton corps à l’heure actuelle ? Est-elle plutôt conflictuelle ou sereine ?

Inès : À l’heure actuelle, je suis sereine. J’ai des efforts à faire pour devenir ce que je veux être, mais je ne me mets aucune pression et m’accepte comme je suis.

Team Jaïne&Co : Enfant (avant tes 12 ans), penses-tu que tu avais déjà conscience de ton corps ?

Inès : Avant mes 12ans, je n’avais aucun atout en ma faveur. Du coup, j’étais la petite sœur des garçons, on pensait que c’était mignon à l’époque mais en vérité c’est vache ! (rires) Je ne prêtais pas attention à mon corps, j’étais toute fine, mais comme je faisais pas mal de blagues (déjà !), ni on ne me dénigrait, ni on ne me complimentait. J’étais un garçon manqué de base donc je pense que quand on me parlait, on savait que c’était pour rigoler. Après, je me souviens qu’on m’avait humiliée par rapport à ma poitrine, mais ayant fort caractère, je ne me suis pas laissée abattre. Il y a des faits que l’on ne choisit pas et ça j’en étais consciente.

Team Jaïne&Co : Comment as-tu vécu la puberté et toutes les transformations physiques/hormonales qu’elle génère ?

Inès : La puberté a été pour moi un soulagement, je me suis sentie enfin comme les autres. Je me souviens que j’avais honte de ne pas avoir mes menstrues aussi jeune que les autres filles. Ça m’avait même poussé à inventer une suspicion de règles, mais mentir c’est mal. Du coup j’ai été humiliée mais j’étais satisfaite qu’ils puissent y croire (rires).

Team Jaïne&Co : As-tu des complexes ? De quand datent-ils ?

Inès : Oui bien sûr mais ils évoluent en fonction des jours, en fonction de mes envies et je pense surtout en fonction du temps que je passe à regarder autour de moi. Mon dernier gros complexe me travaille depuis quelques semaines. Sinon mon corps joue au yo-yo et je crois qu’il s’éclate tout seul… Du coup je laisse, j’essaie de regarder ce qui me plaît dans mes changements et de ne pas m’attarder trop sur le reste.

Team Jaïne&Co : Penses-tu que ton entourage et/ou que la société ont été vecteurs de complexes ? De manque de confiance en toi ?

Inès : Ah mais ça c’est clair ! La société est une pourriture. Les gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas, c’est déstabilisant. Ils sont parfois mauvais et c’est bien dommage parce que dans le fond pour être aussi petit d’esprit et vouloir ranger les gens dans des cases, c’est être frustré, malheureux. Donc sachant ça, oui je me sens influencée par ce que je vois et non je ne me vexe pas si jamais ils arrivent à voir quelque chose de critiquable.

© The Power Of Choice, Stella Bentama

Team Jaïne&Co : Tu es de confession musulmane, est-ce que la religion t’a fait envisager différemment ta relation au corps ?

Inès : Totalement. L’islam m’a apaisée sur bien des choses notamment mon corps. Je l’ai accepté comme tel, parfois je le boude mais je l’aime, c’est un cadeau de mon créateur. Parfois, si tu te dis « Tiens, si je me refaisais la poitrine, ou ci ou ça », tu te souviens de ton Dieu qui t’a créée de cette façon. Lui Seul sait faire les bons choix. Alors tu évites. Et dans le fond c’est mieux parce que changer ta nature c’est donner raison aux autres je pense. D’ailleurs plus je me couvre et moins je me complexe. Les gens ne sauraient critiquer ce qu’ils ne voient pas, ils ne me regardent plus pour me complexer mais plutôt parce que selon eux je suis trop couverte, et ça du coup quand tu sais pourquoi tu le fais, les humains ne sont pas à la hauteur. « Le crachat du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ». (rires)

Team Jaïne&Co : Tu as déjà essuyé des remarques appuyées ou directes concernant tes choix religieux et corporels ?

Inès : Oui. Tous les jours et encore hier d’ailleurs. Je dois constamment me justifier de porter des choses longues, alors qu’on ne demande pas à des filles de se justifier quand elles portent des choses courtes. J’ai le droit à des « Et pourquoi tu portes ton truc ? », « Mais en dessous t’es comment ? », « T’as pas trop chaud ? », « C’est dommage, t’as l’air jolie en plus. », « T’es mariée ? C’est pour un homme ? ». Leur stupéfaction est de comprendre que je ne suis pas mariée et encore moins en couple, que c’est de mon propre chef et que justement on s’est éloigné de moi parce que je commençais à me couvrir. J’ai perdu des gens que j’aimais mais qu’importe.

Tu sais, c’est limite si t’es pas obligée d’en faire plus que les autres pour pas qu’on ne te marche dessus ; ou pour essayer de rattraper ce que les médias peuvent parfois colporter comme âneries. Pathétique. Alors que je souhaite juste me couvrir, juste me préserver. Et je suis française d’origine. Vraiment… Je me fais parfois insultée de « Sale arabe », j’ai failli me faire écraser plusieurs fois un peu après les attentats, ou alors on me regarder de travers. Même quand je fais les courses parfois je me suis retrouvée à devoir me justifier. Ça me fatigue. Je leur explique avec douceur mais parfois j’ai envie de craquer… Leur fermeture d’esprit, leur manque de connaissances me sidèrent parfois. Mais quand ils posent des questions parce qu’ils sont vraiment intéressés, sans jugement, j’aime essayé de rattraper l’image négative qu’ils se font juste en me regardant… alors imagine-moi avec ma tenue et mon masque ? (rires)

Team Jaïne&Co : Peux-tu nous expliquer ce que dit le Coran par rapport à cette question relative au corps, et pourquoi tu as choisi de couvrir certaines parties de celui-ci ?

Inès : C’est une question assez vaste. Je vais essayer de faire court. En gros, le diable embellit la femme quand elle sort et il vient titiller l’homme pour que ceux-ci « copulent ». Sachant que la « fornication » est grave, le diable tente tout pour que ça se passe.. Du coup il est obligatoire pour la femme de se couvrir avec ce qu’on appelle un djilbeb. Dans le Coran, il est écrit en arabe, que les femmes doivent rabattre leurs « voiles » sur leurs poitrines. Et quand on dit voile c’est écrit « djilbeb » au pluriel. Afin d’éviter la séduction/copulation et de plaire à Dieu. C’est une véritable façon de se préserver que ça soit du mauvais œil ou des hommes…

Team Jaïne&Co : Il n’est pas rare de voir la féminité ou la liberté des femmes voilées, remises en question. Qu’en penses-tu ? Es-tu blessée, agacée par ces invectives ? Qu’aimerais-tu leur répondre ?

Inès : J’en ai tellement marre. Honnêtement, je ne comprends pas cette maladie de vouloir mettre tout le monde tout nu, ou presque. Il faudrait leur montrer ce qu’ils ont envie de voir pour être tranquille. Désolée, pas avec moi.
C’est parce que je suis une femme libre que je montre mon corps à quelques personnes autorisées à le voir. C’est parce que je suis une femme libre et indépendante que je ne montre pas mes formes à qui souhaiterait les voir, parce que je pense pouvoir être appréciée sans me dénuder. Parce que je n’aime tout simplement pas qu’on me regarde et que je préfère être critiquée par un(e) frustré(e), que par un(e) envieux(se). C’est mon corps, j’en fais ce que j’en veux : d’un point de vue humain, comme d’un point de vue religieux. Je cherche à plaire à mon Créateur. Donc la seule chose que j’ai envie de leur dire, c’est d’accepter.
Accepter, s’ouvrir aux différences car la bêtise les tuera, arrêter d’être ignorant. Documentez-vous, à travers de vrais livres. Si chacun pouvait s’occuper de ses affaires, on serait tous plus efficaces. Je suis lassée de devoir me justifier à des gens qui – quoi que tu dises – pensent que tu as tort parce que tu es voilée… Mais attention, je ne m’adresse pas à tout le monde, j’aime parler, j’aime expliquer les choses à des gens qui veulent vraiment comprendre, sans jugements, sans penser que je suis une imbécile, que profiter de la vie c’est se montrer. Je ne suis pas d’accord. Je suis d’avantage cérébrale que physique.

© BuzzFeed, Pinterest

Team Jaïne&Co : Quel est le regard des autres femmes à ton égard ?

Inès : Alors ça dépend… En fait, quand je t’ai énoncé plus haut les questions qu’on me pose, ce sont souvent des femmes. Et quand ce sont des hommes, j’évite de leur parler de façon générale parce que pour moi la pudeur ça passe aussi par là. Faut vraiment que j’y sois forcée ou que la personne d’en face ait une bonne aura. Je pense surtout que c’est plus une question de niveau de fermeture d’esprit ou de frustration, que de genre. Donc soit elles font limite l’apologie du corps de la femme, qu’importe sa forme. Je prends parfois ça comme de la vente corporelle et la mentalité de « la femme objet » – chose que je déteste – mais ma foi j’essaye d’être d’avantage correcte. Soit elles cherchent réellement à comprendre et ça c’est agréable, d’échanger avec elles. Soit elles s’en fichent (surtout chez les jeunes) ou encore ça leur renvoie une sale image de l’islam, et là ça me fuit (il n’y a pas d’autres mots, limite je dis « Bouh« , c’est la crise cardiaque directe) comme si j’étais la faucheuse… cette dernière catégorie est la pire, dans la mesure où elles te toisent du regard. Tu n’es rien pour elles, si ce n’est un excrément de la société donc elles te traitent comme tel.

Team Jaïne&Co : As-tu peur du vieillissement et de ses répercussions corporelles (visibles et invisibles) ?

Inès : Absolument pas. Il y a des choses inévitables, du coup il faut apprendre à faire avec. On sait que ça va arriver de manière inéluctable, c’est comme si tu empêchais la pluie de tomber. Tu ne peux pas, mais par contre tu peux toujours apprendre à danser dessous. Et puis les femmes matures sont belles. Je pense qu’importe l’âge, ta beauté vient surtout de la pureté de ton cœur. Ça se voit sur le visage. Les gens bons a l’intérieur sont plus apaisés, plus charismatiques c’est au delà d’une enveloppe. Donc non, je n’ai pas peur, je m’adapterai. Chaque corps est différent, inutile de prévoir. Il faut pour prendre soin de nous, le reste n’est pas à notre portée.

Team Jaïne&Co : Comment prends-tu soin de ton corps et de ton esprit ?

Inès : Travaillant dans le domaine du luxe et de la cosmétique, j’ai mon rituel de soins tous les jours. Étant musulmane, j’ai mes 5 prières quotidiennes qui me permettent de délaisser cette vie et ses tracas, ça prend soin de mon âme. J’essaie de voir le verre à moitié plein dans toutes circonstances et je fais du cheval. Quand j’ai envie, je fais du sport à la maison. Ensuite l’esprit est bien quand il n’est pas frustré alors j’expulse tout ce qui ne va pas de pair avec mon bien être. Je travaille pas mal, soit pour l’ouverture de ma prochaine école, soit pour aider les autres ; c’est aussi très important pour moi de me sentir utile.

Team Jaïne&Co : Quel(s) message(s) aimerais-tu faire passer à travers ce portrait ?

Inès : Que dans la nudité ou dans la couvrance, chaque femme est belle, ne soyez pas la femme que tout le monde désire, soyez la femme que vous désirez. Ne rentrez pas dans les préjugés et lisez, cultivez vous. On a tous à apprendre les uns des autres, qu’importe d’où l’on vient et où on veut aller. Regardez plus loin que le corps, visez l’âme. Chaque jour faites votre propre bilan, ne fermez pas les yeux avant d’avoir accompli ce que vous pensiez devoir accomplir. Sans oublier que ce qui doit vous atteindre, vous atteindra. Nous n’avons pas les commandes parfois, mais Dieu Seul sait ce qui est le mieux pour nous. N’ayez pas de regrets, ne tombez pas sous la pression, faites de votre mieux et essayez d’être meilleurs que la veille. Accrochez vous à vos objectifs, battez vous pour vos valeurs mais n’oubliez pas que votre liberté s’arrête là où commence celle des autres. Respectez. Aimez vivre ensemble. Soyez une bénédiction dans la vie des autres et dans votre propre vie, du lever au coucher du soleil. Que la paix soit sur nous.


Inès, merci infiniment pour ce témoignage fort qui – nous n’en doutons pas – fera évoluer les mentalités.
Merci pour ta confiance, nous savons à quel point l’exercice n’est pas facile.

Nous, on se retrouve bientôt, pour la suite de ce dossier.

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