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Carrière professionnelle : le droit de se tromper (Vaitiare)

Suite de notre dossier concernant l’emploi, avec un focus sur le droit de se tromper et de changer de voie.
Aujourd’hui, nous recevons Vaitiare, qui était déjà venue nous parler de ses études d’infirmière et des souffrances silencieuses vécues par ces apprenants. Cette fois, nous l’interrogeons sur son parcours et le tournant qu’elle a décidé de donner à sa vie.


Jaïne&Co : Bonjour Vaitiare, quel plaisir de te retrouver sur le blog ! Tu étais venue nous parler du malaise silencieux des élèves infirmiers – article à succès sur notre plateforme d’ailleurs – qu’en-est-il aujourd’hui ? As-tu finalisé et réussi tes études ? 

Vai : Bonjour, merci de m’accueillir à nouveau ! Et oui, en effet j’ai finalisé mes études avec succès puisque je suis actuellement Diplômée Infirmière.

Jaïne&Co : Comment s’est passé “l’après études” et ton entrée dans la vie professionnelle ? 

Vai : Ça a été un peu particulier pour ma part, étant donné que j’ai d’abord voulu retourner dans mon pays d’origine, Tahiti, pour y travailler. Sans succès. Après 4 mois, je suis donc revenue en France pour commencer mon premier contrat en tant qu’Infirmière, en Service Orthopédique. Après quelques semaines seulement, j’ai pris la décision de quitter le milieu et de changer complètement de filière.
Je travaille donc actuellement en boutique dans un parc à thème, un métier plus simple et moins stressant que le métier d’infirmier, sans aucun doute.

Jaïne&Co : Quelles ont-été tes désillusions et leur(s) impact(s) sur ton état émotionnel et/ou physique ? 

Vai : J’avais choisi le métier infirmier particulièrement pour les relations authentiques que l’on peut avoir avec les patients. Malheureusement, je n’avais jamais le temps pour aider mes patients autant que je l’aurais voulu, tant sur le plan physiologique que psychologique. De plus, je voyais que ce travail m’impactait personnellement : remise en question profonde, fatigue, angoisse, manque de sommeil, renfermement… Finalement, je ne pouvais pas exercer ce métier comme je le voulais. Je considère toujours le métier infirmier comme un beau métier, mais je ne me sentais plus capable d’endosser le poids des dysfonctionnements du milieu de la santé.

©GIPHY

Jaïne&Co : Comment se rend-t-on compte que l’on n’est pas à sa place ? 

Vai : C’est assez difficile de se l’avouer. Encore plus de faire le premier pas. Dans mon cas, je venais de terminer mes études, je commençais mon premier emploi dans le milieu, tout paraissait se dessiner : le métier de carrière qui offre la stabilité idéale, la fierté de ses proches pour exercer un métier si difficile mais respecté. Seulement, cela m’a demandé une grande prise de recul pour comprendre que si je continuais dans cette voie, ma santé se serait très vite dégradée. J’ai dû me détacher du regard des autres, prendre le temps de m’écouter pour connaître vraiment ce qui me rendrait heureuse dans ma vie.

Jaïne&Co : Quel a été l’élément déclencheur dans ta prise de décision et donc dans ta démission ? 

Vai : Je pense que c’est vraiment mon séjour en Polynésie qui m’a ouvert les yeux.  Il s’est passé beaucoup de choses marquantes donc je vais essayer d’être concise. La vie y est simple, les gens sont très pauvres et se contentent donc d’un rien pour faire leur bonheur. Un métier considéré comme « peu valorisant » en France devient une perle rare là-bas, au vu des conditions de travail catastrophiques parfois de certains métiers. Dans mon quotidien, je prenais des douches à l’eau froide, allais remplir de l’eau potable à une source d’eau publique (l’eau du robinet ne l’étant pas). Avoir un repas dans la journée peut s’avérer être exceptionnel. La maison dans laquelle je vivais se dégradait, étant faite de matériaux peu onéreux. Il m’est arrivé de devoir cuire mon repas au feu de bois. Malgré tout, j’étais avec des gens que j’aime, des personnes de ma famille et dès lors, tout ça n’avait pas d’importance à mes yeux. Quand je suis rentrée en France, j’étais seule dans une ville inconnue, sans mes proches ni ma famille, faisant un travail qui m’épuisait psychologiquement et qui ne me permettait pas de vivre ces moments avec eux. Je pense que le déclic a été à ce moment, où l’on se dit que l’on serait mieux dans une situation moins idéale sur le plan professionnel, mais plus épanouissante sur le plan personnel.

Jaïne&Co : Peux-tu nous décrire ton raisonnement et la manière dont tu as appréhendé cette phase de doute(s) et de remise(s) en question ? 

Vai : Je me suis posée ces questions, à moi seule : comment je me projette dans quelques années ? À quoi est-ce que je veux que ma vie ressemble ? Quelles sont mes réelles motivations sur le plan professionnel ? Puis, plus particulièrement : est ce que le métier que je fais répond à mes attentes précédentes ? Est-ce que je me sens bien en allant travailler chaque jour ? C’est difficile parce que ça relève d’une vraie introspection en profondeur. Par moment, je n’avais pas les réponses moi-même donc j’ai demandé conseils à mes proches, je me suis même renseignée pour savoir si mes réactions étaient normales ou pathologiques (rires).

©GIPHY

Jaïne&Co : Quelle place et quel rôle  ont eu tes proches dans cette épreuve ? 

Vai : L’idéalisation du métier d’infirmier faite par mes proches a été dure à combattre. Encore aujourd’hui, certains me demandent toujours si je ne suis pas trop déçue d’avoir fait  » tout ça pour rien  » (ce que j’ai beaucoup entendu). On sent qu’il y a de la déception, des interrogations, de l’incompréhension parfois. Heureusement, d’autres ont été de vrais soutiens, lorsqu’ils ont immédiatement compris que cette situation m’impactait trop personnellement. L’avis de mes proches comptait, évidemment, mais j’ai tenté de me concentrer sur mes impressions et mon ressenti pour résoudre ce dilemme qui s’imposait à moi.

Jaïne&Co : Se sent-on seul(e) dans ces moments ou au contraire, connais-tu de jeunes adultes ayant les mêmes questionnements que toi ? 

Vai : Je dirais que, malgré le fait que d’autres personnes puissent être dans la même situation, il s’agit de sa vie propre et que donc chaque parcours est unique. Donc oui, je me suis sentie très seule par moment. Il faut savoir trouver les réponses à ses propres questionnements, savoir ce qui nous correspond réellement. Chacun de nous vit les choses avec son degré de tolérance, avec ses expériences et sa personnalité. J’étais la seule à réellement savoir ce qui était le mieux pour moi, et donc la seule à pouvoir me sortir de cette situation.

Jaïne&Co : Comment as-tu décidé de “rebondir” ? 

Vai : Pour ma part, j’ai compris que je préférais privilégier un épanouissement personnel, et exercer un métier simple qui me permettrait de vivre correctement, sans impact sur ma santé. Que malgré ma soif d’apprendre, je serai toujours limitée par un cadre professionnel. J’aime beaucoup de choses variées, et j’ai soif d’apprendre sur le monde. Mais nous vivons dans une société, et malheureusement, il faut bien choisir une case dans laquelle se placer. Mon métier aujourd’hui ne reflète pas un métier de cœur, ni une passion. Mais je peux toujours faire en sorte que ma vie personnelle soit remplie de toutes ces choses que j’aime. Et finalement, mon métier actuel me permet tout de même d’établir quelques brèves interactions authentiques avec les visiteurs, ce qui suffit à égayer mes journées. 

Jaïne&Co : Qu’aimerais-tu dire aux lectrices et lecteurs traversant la même période de doutes que toi et/ou une reconversion professionnelle ? 

Vai : Je pense qu’il faut avant tout apprendre à s’écouter. Laisser les préjugés et les jugements extérieurs de côté pour pouvoir se retrouver face à soi. Une reconversion professionnelle, c’est toujours assez délicat quand on pense au regard des autres, mais ça devient comme une évidence quand on se pose la question à soi même. Il faut aussi garder le positif que les proches peuvent apporter, et laisser le temps d’effacer le négatif que cela peut générer chez d’autres. Enfin, il faut se faire confiance. Nous sommes ceux qui vivons notre vie, autant faire en sorte qu’elle soit plus agréable qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et, selon moi, rien n’est jamais perdu : le temps passé dans une autre voie nous servira toujours. Il fait partie de nos leçons reçues, de notre expérience de vie et de notre histoire.


Merci infiniment à Vaitiare d’avoir trouvé les mots justes pour décrire les sentiments ressentis dans ces moments de doutes intenses ; mais surtout un grand merci pour tes conseils avisés !
On restera sur ces mots importants : Écoutez-vous et faites toujours ce qui est le mieux pour vous !

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