Vous avez dit « Orthoptiste » ?

Chez Jaïne&Co, nous adorons échanger longuement avec nos lecteurs/lectrices, tout comme découvrir vos métiers, vos passions, vos aventures et expériences singulières.

J’ai rencontré Eve au collège. Elève brillante, cultivée, pleine d’humour ; je la savais prédestinée à une grande carrière.
Quinze ans après, elle accepte de témoigner dans notre rubrique Humans, pour évoquer avec passion une profession relativement méconnue par la société.

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Jaïne&Co : Bonjour Eve ! Nous sommes ravies d’accueillir ton témoignage sur le blog, aujourd’hui. Tu vas nous parler de ton métier – et quel métier ! – tu es orthoptiste ! Alors, pour que cela soit bien clair pour tout le monde, peux-tu nous définir ce qu’est un(e) orthoptiste ? 

Eve : Bonjour à toute la Team ! 
Alors pour faire un peu d’étymologie, ça vient du grec et ça signifie « vision droite », mais bien qu’on soit souvent qualifiés de « kinés des yeux », l’orthoptiste est bien plus que ça. Effectivement, une partie du métier consiste à rééduquer les troubles de la vision binoculaire (insuffisance de convergence par exemple) et/ou à assurer leur suivi (strabismes, paralysies oculaires..). Mais il y a également des orthoptistes qui s’occupent de la partie « technique », en réalisant des réfractions (sur lesquelles sont basées les ordonnances de lunettes) et des examens complémentaires pour dépister ou assurer le suivi d’un patient présentant une pathologie (glaucome, DMLA..). Attention, un orthoptiste n’est pas un docteur et travaille de concert avec l’ophtalmologue, qui va superviser son travail, faire le diagnostic, les ordonnances de traitement et de prise en charge si besoin.

Team Jaïne&Co : Qu’est-ce qui t’a donné envie de te tourner vers ce pan relativement méconnu de la médecine ?

Eve : Alors pour être honnête je voulais faire ophtalmologue, mais je n’ai pas réussi le concours de médecine ! Quand j’ai découvert le métier d’orthoptiste à travers une amie, je me suis dit que c’était une bonne alternative, et je ne regrette pas du tout de m’être lancée dedans ! C’est un métier très varié, qui demande des connaissances spécifiques, qui propose énormément de formations et où on est tout le temps au contact des patients.

Team Jaïne&Co : Quel parcours scolaire/universitaire faut-il privilégier pour devenir orthoptiste ?

Eve : Vu que c’est une discipline paramédicale, les filières S et ST2S me semblent les plus appropriées. Mais avec du travail et de la rigueur les études d’orthoptie sont accessibles à tous. Il y a un concours à passer pour rentrer dans l’école, avec des épreuves écrites et un oral, puis on enchaîne avec trois ans d’études et un mémoire pour être diplômé.

Team Jaïne&Co : Est-ce que ton métier correspond aux attentes que tu en avais ? Ou la réalité est-elle diamétralement opposée à la théorie ? En fait, penses-tu avoir été suffisamment préparée à ce milieu ?

Eve : Oui, je travaille actuellement en clinique avec plusieurs ophtalmologues et plusieurs orthoptistes ; c’est exactement ce que j’attendais de ce travail, je fais tout ce que j’aime dans le métier. En fonction des structures dans lesquelles on choisit de travailler on peut se spécialiser ou « toucher à tout » et c’est ce qui me plaît vraiment dans l’orthoptie, on ne s’ennuie jamais. La seule chose pour laquelle on n’est pas suffisamment préparé à l’école, à mon avis, c’est le libéral (la gestion d’un cabinet, les charges..), c’est pourquoi je n’ai pas du tout envie d’en faire.
Pour le reste, la théorie et la pratique sont très liées dans la formation, et on apprend beaucoup sur le terrain en stage à l’hôpital et chez les ophtalmologues.

Team Jaïne&Co : À quelle catégorie de la population es-tu le plus souvent confrontée ?

Eve : Ça dépend vraiment de la ville où on se trouve pour ce qui est des catégories sociales. Après la patientèle est très variée, de la pédiatrie, beaucoup de personnes âgées, des jeunes adultes.. Des motifs de consultation allant de la paire de lunettes à renouveler au suivi de glaucome.. Donc je ne saurais pas vous dire exactement !

Team Jaïne&Co : Quelles situations cocasses as-tu vécues jusqu’ici ?

Eve : Un paquet, j’ai d’ailleurs plusieurs fois hésité à les noter sur un carnet ! Je vous fais un florilège :

• Le patient qui arrive avec une paire de lunettes trouvée à 1 euro dans un vide grenier et qui me demande de les vérifier pour voir si elles sont à sa vue (« Parce que c’est encore mieux si elles me vont vous voyez »)
• La patiente qui met les lunettes de son enfant pour tester et qui refuse de les lui faire porter ensuite parce que « Je n’y vois rien avec, alors c’est sûr qu’il y voit flou lui aussi » (et oui c’est bien connu, on a tous la même vue)
• Le patient à qui on demande pourquoi il vient et qui répond «Euh.. pour les yeux.. enfin je sais pas faut demander à ma femme»
• Le patient qui a passé sa tête par la fenêtre sur l’autoroute et dont les lunettes se sont envolées..
• La patiente tellement maquillée qu’elle laisse une empreinte de ses sourcils et de son fond de teint sur les appareils..

Et j’en passe !

Team Jaïne&Co : Au contraire, est-il arrivé que tu te sentes en danger dans l’exercice de tes fonctions ?

Eve : Certains patients m’ont déjà mise mal à l’aise, à cause de remarques déplacées ou insistantes. C’est un métier très féminin, du coup on n’échappe malheureusement pas à certaines réflexions…

Team Jaïne&Co : Le contexte actuel de Covid-19 met en lumière le travail colossal des services hospitaliers. Penses-tu que la société valorise assez ses soignants, peu importe leur spécialité ?

Eve : Malheureusement non.. Il faut que les gens comprennent que nous sommes là pour eux et pour leur santé, et que notre place est essentielle dans la société. Tous les jours on tombe sur des gens très désagréables voire agressifs alors qu’on fait tout ce qu’on peut pour les aider et les soigner. Tous les soignants mobilisés font actuellement un travail incroyable et on ne les remerciera jamais assez pour ça. C’est dommage qu’il ait fallu une pandémie pour se rendre compte de leur importance au quotidien.

Team Jaïne&Co : Qu’est-ce qui – selon toi – doit impérativement changer, pour ne pas avoir un secteur de la santé au bord de l’explosion ?

Eve : C’est facile à dire bien sûr, mais il faudrait mettre en jeu plus de moyens pour revaloriser les salaires des soignants, pouvoir acheter du matériel médical et avoir accès à plus de ressources en temps de crise…
On est tous stressés et sous pression, la demande est très forte par rapport au nombre de soignants. À titre individuel, je pense aussi qu’être respectueux, aimables et compréhensifs, aussi bien patients que soignants, est essentiel – et ne demande pas un trop gros effort.

Team Jaïne&Co : Comment s’organise ton travail avec les nouvelles normes sanitaires ? As-tu des craintes ou constates-tu des améliorations ?

Eve : On passe plus de temps à désinfecter les machines qu’à voir les patients, donc c’est une autre dynamique de consultation ! Mais du coup on voit moins de monde, c’est plus reposant pour ma part ! Je trouve que la gestion des patients est améliorée puisqu’on est moins stressés par le nombre de gens, en revanche il arrive que certaines personnes ne respectent pas tout à fait les normes (port du masque entre autres) et c’est plutôt ça qui m’inquiète.

Team Jaïne&Co : Selon toi, quelles sont les qualités essentielles pour exercer ce métier ?

Eve : Il faut être à l’écoute des gens, bienveillant, rapide et efficace. La relation patient-orthoptiste est très importante, surtout en libéral où il y a énormément de rééducations (les patients reviennent donc très régulièrement).

Team Jaïne&Co : Un petit mot pour tes confrères/consoeurs ou pour les étudiants qui hésitent encore à se lancer dans l’orthoptie ?

Eve : Alors déjà bon courage à tous les étudiants et les orthoptistes pour cette période compliquée ! Et pour ceux qui hésitent à se lancer, si vous cherchez un métier de la santé varié, intéressant, dynamique et en perpétuelle évolution, l’orthoptie est une voie tout à fait indiquée pour vous !

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Merci beaucoup Eve pour ta confiance, ainsi que le temps que tu nous as accordé. Nous espérons qu’à la lecture de cet article, des vocations naîtront !

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