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Être directeur d’école maternelle

Cet article a été rédigé avant le confinement. Nous avons décidé de le laisser dans l’état, car le message véhiculé ne change pas avec l’actualité. Bonne lecture !

Pour continuer notre saga sur les métiers dans les écoles, il faut se rappeler qu’il n’y a pas que les enseignants. Il y a aussi les directeurs !

Aujourd’hui, suite à notre article Être professeure des écoles en maternelle, je vous propose le témoignage de Christine W., directrice d’école maternelle.

Propos recueillis le 7 mars 2020

Quel est ton poste exact ?

Je suis professeure des écoles et directrice d’école. C’est-à-dire que je suis avant tout enseignante, avant d’être directrice.

Cette année, j’ai une classe de petite section de maternelle et j’enseigne les deux tiers du temps.

© Jaïne&Co

Peux-tu nous expliquer comment tu jongles entre ton travail de directrice et ta classe ?

Les directeurs ont des décharges. Donc des professeurs des écoles viennent dans nos classes lorsque nous sommes en jours de décharge, c’est-à-dire dans nos bureaux. 

Je suis déchargée un jour par semaine pendant deux semaines, et la troisième semaine, je suis déchargée deux jours. Le reste du temps, je suis dans ma classe. 

Le nombre de jours de décharge pour les directeurs dépend du nombre de classes dans l’école. Par exemple, dans mon établissement, il y a huit classes, et j’ai un tiers de décharge. Mais si j’en avais neuf, je serais demi-déchargeable.

Quelles ont été tes études ?

Comme beaucoup d’enseignants, j’ai un parcours qui n’a rien à voir avec l’enseignement direct. J’ai fait une maîtrise de droit pour normalement me diriger vers le métier de juge pour enfants. C’est un métier passionnant, mais qui implique beaucoup sur le plan moral et nous rend responsable de choses très difficiles à vivre. 

Après réflexion, j’ai bifurqué, car un matin en allumant la radio, j’ai entendu qu’ils recherchaient des instituteurs et institutrices, avec comme seul pré-requis un niveau Bac+2 (DEUG). 

Autrefois, les instituteurs passaient un concours soit après leur 3ème, soit après leur Terminale, et rentraient à l’Ecole Normale.
En 1982, le recrutement a commencé à changer, car on s’est aperçu que le recrutement précédent n’était peut-être pas le meilleur, et donc le niveau d’études demandé a été revu à la hausse.

Quand as-tu commencé à travailler ?

J’ai passé ce concours en 1982. En 1983, j’ai été tout de suite parachutée dans une classe, sans aucune formation. J’ai d’abord fait des remplacements en maternelle et en élémentaire dans le 93, à Montreuil, à La Courneuve, à Bobigny, etc. C’est ce qui ce passe quand on commence.

Mon tout premier poste, c’était à Aubervilliers dans un CM2, et à l’époque il y avait encore des estrades. Je me souviendrais toujours de mon premier jour. Il y avait un grand gaillard, qui avait déjà manifestement un ou deux ans de retard, qui s’est levé et qui m’a dit “Bah vraiment t’as des grands pieds !”. Et je ne sais plus ce que je lui ai répondu, mais ça a apaisé la situation tout de suite et j’ai su que j’étais faite pour être enseignante. 

Quand es-tu devenue directrice d’école ?

Tardivement. Je ne voulais pas au début. Tout au long de ma carrière, on m’a proposé de devenir maître formateur, mais j’ai toujours refusé car je trouvais que c’était un statut scandaleux.
Toutefois, j’ai été maître d’accueil temporaire pendant quelques années, donc pire que le statut de maître formateur. J’accueillais des jeunes pour les former, et j’étais encore moins bien payée que les maîtres formateurs. Mais au moins je restais maîtresse de ma classe toute la semaine. 

Je suis devenue directrice par accident, car ma hiérarchie m’a plus ou moins forcé la main en 2009. J’ai été directrice d’école uniquement en maternelle.

© Jaïne&Co

Pourquoi ne souhaitais-tu pas être directrice d’école ?

Parce que j’adore mon métier d’enseignante et ce que j’aime c’est la transmission pédagogique. Ceci dit, petit à petit, j’ai fini par y trouver un intérêt quand même.

Un des gros problèmes de la fonction de directeur actuellement, c’est que tu es adjoint. Tu as le même statut que le reste des enseignants dans ton école. Tu n’es pas chef d’établissement, tu n’es pas leur supérieur hiérarchique, tu es un adjoint parmi les autres mais qui a accepté une tâche de direction

Ce qui est compliqué, c’est que tu es normalement pilote pédagogique, on te le dit, mais tu n’as aucune reconnaissance de ta hiérarchie par rapport à tes collègues. Leur supérieur hiérarchique, c’est l’Inspecteur de l’Éducation nationale (IEN).

Donc tu dois diriger tes collègues, essayer de leur donner des orientations pédagogiques par rapport aux textes et à ton savoir-faire, avec diplomatie et finesse.

© Jacques Risso

Pour toi quel est le rôle des directeurs ?

Il est multiple. 

Le rôle qui m’intéresse, c’est d’essayer de donner des impulsions pédagogiques et parfois des conseils. Le but, c’est de donner la meilleure pédagogie et la meilleure éducation. La maternelle, elle instruit, mais elle éduque aussi. 

Autre rôle essentiel : faire la synthèse des dysfonctionnement des élèves.

Lors des conseils de cycles avec l’ensemble des enseignants, on parle de chaque élève et de leur évolution, de la petite section à la grande section, pour que les enseignants de grands comprennent d’où viennent leurs élèves. Donc quand on est sur une école pendant plusieurs années, on connaît tous les élèves, même s’ils ne font pas partie de notre/nos classe(s).

Le directeur fait le lien avec les enseignants pour tous les élèves qui ont des difficultés scolaires, de comportement ou sociales. Il est là aussi pour mettre le doigt sur tout problème intra-scolaire mais aussi extra-scolaire, c’est-à-dire dans la famille. On est là pour accompagner l’enfant avec ce qu’il est, et pour alerter lors de la détection de problème(s) qui lui sont propres, que ce soit des problèmes d’apprentissage liés au milieu familial, à l’enfant (c’est-à-dire à des pathologies éventuelles), etc.

Dans ces cas-là, l’enseignant et le directeur font ce qu’on appelle une équipe éducative qui est dirigée par le directeur, en présence des différents partenaires (la psychologue scolaire, les unités de soins si l’enfant est suivi à l’extérieur). L’enseignant n’est pas du tout là pour diagnostiquer une pathologie chez un enfant mais il déclenche le questionnement chez les parents. Par exemple : “Vous êtes sûrs qu’il entend bien ? Vous êtes sûrs qu’il voit bien ?” C’est aux parents ensuite de se tourner vers des professionnels de santé. 

Pour finir, le directeur a également pour rôle de mettre en place des projets personnalisés de scolarisation (PPS) dès la maternelle, qui peuvent parfois déboucher sur un accompagnement humain avec un(e) auxiliaire de vie scolaire (AVS).

Est-ce qu’il y a des objectifs de fin d’année pour l’école dans son ensemble ?

On a ce qu’on appelle un projet d’école. L’intérêt est de réfléchir sur certains points pour faire évoluer les choses. Ça dure trois ans, il est réalisé avec l’ensemble des enseignants. Via celui-ci, on va mettre la forme pédagogique aux programmes. Car les programmes pour les petites, moyennes et grandes sections donnent le contenu pédagogique, mais pas la forme. 

Chaque année, il y a des réunions entre enseignants pour voir ce qui a permis d’évoluer, ce qui est bien, ce qui n’est pas bien, ce qui a permis aux enfants en difficulté d’être aidés -comme les Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) à l’heure du déjeuner, etc. 

Par exemple, dans mon école, nous avons, pour chaque élève, un album à compter. Il suit l’enfant de la petite section jusqu’à la grande section. Dans les programmes, les petits doivent apprendre jusqu’à 3, les moyens jusqu’à 5 et les grands jusqu’à 9. Donc chaque année, l’album est complété. Pareil pour le cahier de comptines. C’est la mémoire du vécu de l’enfant. 

Donc le projet d’école, c’est la colonne vertébrale de la pédagogie faite dans une école. Il a été trop longtemps mal considéré par les enseignants car ils avaient l’impression que ça leur était imposé. Mais c’est en fait un projet à réfléchir et à créer tous ensemble. 

© Jaïne&Co

Pour toi quelle est la qualité requise pour être directeur d’école ?

Être un bon médiateur. Donc savoir écouter, trancher quand il le faut. Soutenir nos collaborateurs ou interlocuteurs.

Être à l’écoute. À celle des élèves, des parents, des enseignants, des ATSEM et du périscolaire. Parce que c’est tout cet ensemble-là l’école. Et toi, tu es au milieu de tout ce beau monde – généralement personne ne t’écoute toi *rires*– et tu es là pour écouter, pour conseiller, pour trancher avec intelligence, recul et jamais de façon autoritaire, car de toute façon tu n’as pas d’autorité. 

Il faut prendre beaucoup de recul quand tu es directeur. Tous tes gestes et tes actions doivent être réfléchis, parce qu’ils ont une conséquence. Car si tu es trop abrupte et stricte, ça ne marchera pas. Il faut écouter les gens. Il faut savoir en permanence moduler tes réponses, prendre de la distance, pour arriver à résoudre les problèmes. 

Et le plus important sûrement : être bienveillant. À tous les niveaux. C’est à mon sens la qualité indispensable de tous pédagogues.

Qu’est ce que tu préfères dans ton métier de directrice ?

Le pilotage pédagogique. L’administration, ça me barbe. J’aime bien les relations avec les familles, c’est intéressant. Cependant, on les a déjà en tant qu’enseignant/e, même si là, c’est un peu différent car c’est sur l’ensemble de l’école. Donc ça fait beaucoup de familles ! Mais ce qui m’intéresse le plus c’est d’améliorer la pédagogie pour les élèves.

Qu’est ce que tu n’aimes pas dans ton métier de directrice ?

Ouvrir la porte. Parce que j’estime que ce n’est pas mon métier ! *rires* 

Dans la commune dans laquelle je suis, on a rajouté un autre métier au mien, c’est être gardienne d’école. Et c’est insupportable. Ça me bouffe au quotidien. Si ça sonne, je dois arrêter de travailler et vraiment ça me pèse au quotidien. Si je suis en classe, je dois la quitter pour ouvrir la porte, ou alors on n’ouvre pas. Mais ça, c’est un choix de la mairie, pour les écoles de ma commune.

© Jacques Risso

Qu’est ce qui t’énerve dans l’Éducation Nationale aujourd’hui ?

Tu vois toutes ces difficultés au quotidien que nous rencontrons et qui viennent le nuire ? Le ronger ? Le fait de ne pas pouvoir laisser un parcours de gym en place, le fait d’avoir des locaux trop petits, la promiscuité à cause de ces locaux… Je ne peux pas croire que là-haut on ne le sache pas. Après, c’est compliqué, car les locaux ne sont pas à l’Education Nationale mais aux communes, donc aux mairies. 

Pareil, on n’a pas assez d’ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles) dans les écoles. En grande section, on en n’a pas et il devrait y en avoir. 

Jack Lang avait fait des questionnaires pour prendre l’avis des enseignants lorsqu’il était Ministre de l’Education Nationale (2000-2002). Et là, ils viennent de le refaire. Donc on ne peut pas dire qu’ils ne nous demandent pas.

Durant l’année scolaire, quelle est l’activité que tu préfères faire avec les enfants ?

Tout. Je n’ai aucune préférence. J’aime toute la pédagogie, quelque soit le sujet abordé ou comment il est abordé.

En maternelle, tu répètes beaucoup et tu revoies les mêmes choses toute l’année. Tu ne peux pas dire “ça hop c’est bouclé !”, ça ne marche pas comme ça.

La pédagogie individualisée, c’est faire en sorte que l’enfant acquiert les connaissances à son rythme tout au long d’une année. Donc on va prendre des prétextes pour mettre une pédagogie en place – comme faire de la soupe, faire de la compote, jardiner- avec des objectifs pédagogiques qui sont définis dans les programmes, que l’on va faire tout au long de l’année.

Donc je n’ai pas une activité que j’aime plus qu’une autre. Ce qui m’intéresse, et ce qui est l’intérêt du métier d’enseignant en cycle primaire (maternelle et élémentaire), c’est qu’on a, pendant un an, un enfant, qu’on va guider en pluridisciplinaire pour qu’il s’améliore, qu’il grandisse, et qu’il acquiert les connaissances obligatoires dans son niveau scolaire, ou plus.

Un petit mot pour les parents ou futurs parents ?

Faites confiance à l’école publique. Elle est beaucoup décriée mais il y a plein de gens géniaux.


Merci encore à Christine d’avoir répondu à mes questions ! À bientôt pour le prochain témoignage !

Si vous êtes professeur/e des écoles en maternelle ou élémentaire et que vous souhaitez témoigner, n’hésitez pas à nous contacter !

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