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Être professeure d’anglais à l’université

La langue internationale, enseignée à tous les élèves français comme LA langue à connaître. L’apprentissage commence de plus en plus tôt dans la scolarité mais il est aussi important après le bac !

Aujourd’hui, je vous présente Bénédicte B., professeure d’anglais en école d’ingénieur universitaire. Elle a accepté de nous raconter son parcours et son quotidien. Ready? Set. Go!

©GIPHY

Propos recueillis le 13 avril 2020

Quel est ton poste exact ?

J’ai un poste de Professeur Agrégé dans le Supérieur. Je suis dans une université qui a une composante d’école d’ingénieurs. Il y a celles qui sont privées, et d’autres universitaires. 

Moi, je suis professeure d’Anglais, et depuis quelques années professeure de Communication en plus. Mes élèves sont des étudiants ingénieurs de niveau Bac+2 à Bac +5.

Quelles ont été tes études ?

J’ai commencé par un Master de Langues Étrangères Appliquées (LEA) pendant lequel j’ai passé une année en Angleterre. À la suite de ça, j’ai travaillé en entreprise, essentiellement dans la traduction. Puis j’ai passé le CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré) d’anglais. Et plus tard, j’ai passé le concours d’agrégation.  

Quand as-tu commencé à travailler ?

En 1992, après avoir eu mon CAPES. Mais j’ai fait des remplacements en tant que maître auxiliaire (poste qui n’existe plus) à partir de 1990. 

Qu’est ce qui t’a donné envie de devenir professeure d’anglais ? 

Deux choses essentiellement. Déjà professeure d’anglais, parce que je me sentais capable de le faire et que je parlais anglais. Mais professeure de manière générale, parce que ça me donne une grande liberté

Comme j’ai eu une expérience en entreprise, je savais que je détestais cette ambiance. J’avais l’impression d’être prisonnière du matin jusqu’au soir, de ne rien faire de ma vie. Ça ne m’intéressait pas. Donc j’ai pensé qu’enseigner ça serait interessant, et j’aimais bien l’idée d’apporter quelque chose aux enfants. C’est un travail dans lequel je sens que j’ai une grande liberté. L’école est un milieu stimulant avec un esprit particulier, qui me plaît.

©Braveheart

Pour toi, quel est le rôle du professeur ?

Il va apporter des connaissances mais il a aussi un rôle, à mon sens, d’aide à l’épanouissement des élèves.

Quand j’ai passé ma formation, il y a un peu moins de trente ans, on disait qu’il ne fallait pas d’affectif entre l’enseignant et ses élèves. Mais pour moi, ce n’est pas ça. Pour moi, l’enseignant à une vraie relation qui s’installe avec ses élèves et qui va leur permettre de s’épanouir, quelque soit la matière. C’est une relation humaine. 

Pour toi, quelle est la qualité requise pour être professeur ?

Aimer les gens. Avoir des qualités humaines d’intérêt pour les individus. Pour moi, on ne peut pas être un bon enseignant si on n’aime pas les gens. Il faut avoir envie d’apporter quelque chose aux autres. 

As-tu un but de fin d’études pour toute ta classe ?

Au départ, le but de l’enseignement de l’anglais en école d’ingénieur, c’est vraiment de rendre les étudiants opérationnels en milieu professionnel. C’est à dire d’être capable de tenir une conversation, de comprendre une réunion et d’y participer, de rédiger des mails ainsi que de faire des présentations en anglais, etc.

Hors depuis 2003, la Commission des titres d’ingénieurs a imposé un niveau minimum en anglais validé par un organisme extérieur. Donc nous, les enseignants, nous avons complètement perdu la main sur l’évaluation du niveau des étudiants. Aujourd’hui, nous les préparons à valider les niveaux B2+C1. Dans le réseau d’écoles pour lequel je travaille, le réseau Polytechnique, ils ont choisi le TOEIC comme test. À l’heure actuelle, pour valider leurs diplômes d’ingénieurs, les étudiants doivent obtenir un score de 785. 

Donc mon rôle maintenant, c’est de les amener à ce score. Pour une majorité c’est assez facile, et pour certains c’est mission impossible. Eux, ils n’obtiendront pas leur diplôme d’ingénieur mais une équivalence, ce qui pose beaucoup de problèmes. Dans notre établissement, on a environ 10% des élèves qui ne sont pas diplômés à cause du TOEIC.

Alors depuis à peu près une dizaine d’années, les départements donnent des aides pour que les élèves puissent partir faire leur stage d’étude de quatrième année à l’étranger et ça aide énormément. 

Malheureusement pour cette année avec le confinement, ça ne va pas être la même chose, et nous le verrons sur les scores. 

© lil_foot, Pixabay

Pendant le confinement, comment fais-tu classe à tes élèves ?

Je travaille sur l’ENT (Espace Numérique de Travail). Ça me permet de faire passer des documents de travail aux étudiants et ils m’envoient par mail leurs écrits. Chaque semaine je poste de nouvelles choses. Mais ils ont aussi un livre, des liens d’activités. La première semaine du confinement, j’ai mis beaucoup de choses en place. Et avec tout ce que je leur ai donné, ils ont du travail pour trois mois s’ils veulent. 

Le problème pour ma matière, c’est qu’il n’y a plus d’expression orale. En anglais il y a quatre compétences : les compréhensions écrite et orale, et les expressions écrite et orale. Donc on peut en travailler trois à distance par les écrits et des vidéos, mais l’expression orale, c’est compliqué à mettre en place. 

Il existe des plateformes pour faire des cours. J’ai proposé à mes étudiants de subdiviser les groupes et d’organiser des sessions d’expression orale, je n’ai pas eu de réponses positives à ce jour. Mais actuellement, j’ai des groupes plutôt faibles donc ils se concentrent vraiment sur leur TOEIC, sur les règles de grammaire et la compréhension, car il n’y a pas d’expression orale à l’examen. 

Ils travaillent beaucoup en autonomie, et moi je reçois un peu tous les jours leurs écrits. Je ne leur donne pas de date butoir. J’estime qu’ils sont grands, majeurs, qu’ils ont des fois d’autres choses à faire et en plus certains sont dans des situations très compliquées. J’essaie d’être plus souple. C’est à eux de se gérer. 

De toute façon, nous ne les reverrons pas. Les étudiants ne reviendront pas avant septembre

Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ?

Le contact avec les étudiants. C’est ce que je préfère. Il y a des moments de communication, d’échange, de partage, qui sont très agréables. 

Et quand on a l’impression d’avoir vraiment aidé. Ça m’arrive de temps en temps d’avoir des étudiants qui me disent “Merci Madame, j’ai pu avoir mon TOEIC, c’est grâce à vous”. C’est très gratifiant. 

©GIPHY

Qu’est ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Ce que je n’aime pas… Évaluer *rires*. Noter. J’ai horreur de ça ! Pas corriger, car corriger c’est expliquer les fautes et ça, ça ne me dérange pas du tout ! Mais par contre évaluer… Je ne sais pas faire. Je mets des notes beaucoup trop élevées à mes étudiants *rires*. On me l’a souvent reproché. Certains ça les encourage, mais la plupart pense qu’au contraire c’est n’importe quoi, qu’ils ne valent pas ça. Parce que le système éducatif français est très négatif. C’est très Père Fouettard. Et tout d’un coup, quand ils ont quelqu’un en face d’eux qui fait différemment, ça les perturbe et ils se disent que c’est du flan. C’est une vraie difficulté. 

Et ça pose beaucoup de problèmes aux élèves ! Certains étudiants ingénieurs, quand ils commencent la recherche d’emploi, ils ne savent pas dire quelque chose de positif sur eux-même, c’est catastrophique. Ils se dévalorisent complètement.

Qu’est ce qui t’énerve dans l’Éducation Nationale aujourd’hui ?

Alors je n’y suis plus, car je suis à l’université. Donc ça m’est difficile de répondre à ça.

De quel ministère dépends-tu ?

Du Ministère de lʼEnseignement Supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation. Notre ministre c’est Frédérique Vidal.

Alors je ne suis pas directement concernée par ce que je vais dire car je suis professeure agrégée, mais mes collègues enseignants-chercheurs n’ont plus le temps de faire de recherches. Car depuis l’autonomie des universités, le budget de l’État a été diminué mais sans monter la part des budgets obtenus par le privé. Donc les enseignants-chercheurs passent leur temps à monter des dossiers pour justifier leurs demandes de subventions. En fait, j’ai beaucoup de collègues qui me disent qu’ils n’ont plus le temps de faire de la recherche. Ce sont leurs étudiants en thèse qui la font. Eux, ils remplissent des dossiers.

Et ça a fragilisé les universités avec des laboratoires moins prestigieux, moins connus, moins ceci, moins cela. 

Tu sais, avec l’histoire du COVID-19, beaucoup d’enseignants-chercheurs ont dit que l’État avait investi plus d’argent dans la recherche, il y a peut-être des choses qu’on aurait pu étudié d’avantage. C’est toujours pareil. Une question d’argent et un désengagement de l’État

©GIPHY

Durant l’année scolaire, quelle est l’activité que tu préfères faire avec tes élèves ?

Ce que je préfère vraiment, c’est en communication, c’est les aider à réfléchir sur leur parcours.  Parce que justement j’aime bien les amener à constater qu’ils ont fait et savent plein de choses. Qu’ils sont emplis de qualités. Modifier un peu le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et leur parcours. Pour ceux qui sont le plus en difficulté évidemment ! Il y en a, il n’y a pas de problème, ils ont des egos bien installés, il n’y a pas de problème ! *rires*

Un petit mot pour les parents ou futurs parents ?

Arrêtez de mettre la pression aux enfants. Bien sûr, c’est important d’apprendre et de savoir des choses, mais les encourager à voir ce qu’ils font bien, même si c’est faire des gâteaux ou autre chose qui n’est pas scolaire. Arrêtez de mettre la pression. Ça ne sert à rien en fait. Je le dis car je l’ai fait aussi avec mes propres enfants, mais je me rends compte à quel point c’est contre-productif. Parce qu’on a peur en tant que parent. On a peur que les enfants n’arrivent pas à avoir leur baccalauréat, à faire des études, à avoir un travail, à avoir un avenir. 

Comme on vit dans un monde anxiogène, cette anxiété rejaillit sur le rapport que les parents peuvent entretenir avec la scolarité de leur enfant. Et du coup ils mettent une pression intenable pour les mômes.  

Et je dirais aussi, observez-les et encouragez-les dans ce qu’ils aiment. Parce que le système éducatif et la société vont toujours privilégier certaines matières comme les mathématiques, la physique, et si tu es bon il faut faire classe prépa, etc. Et moi, je vois de plus en plus d’élèves qui sortent d’école d’ingénieur et qui font tout autre chose. J’en ai un qui est devenu apiculteur, un autre qui est parti voyager… C’était de bons élèves, bien dans la norme de ce qu’on attendait. Mais personne ne s’est demandé ce qu’ils souhaitaient faire ces gamins. Donc je dirais aux parents observez vos enfants et soyez attentifs à ce qu’ils aiment

© Wokandapix, Pixabay

Merci à Bénédicte d’avoir répondu à nos questions ! À bientôt pour un prochain témoignage dans notre catégorie Humans !

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