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Être professeure de chimie en BTS (post-bac)

Vous pensiez qu’on allait oublier les enseignants au-delà du bac ? Eh non, on fait les choses bien chez Jaïne&Co !

Aujourd’hui, nous discutons avec Odile M., professeure de chimie en BTS Métiers de la Chimie ! Nous pourrions croire que c’est plus facile de se retrouver devant des jeunes de plus de 18 ans que des enfants en bas âge, et pourtant…

© Gerd Altmann, Pixabay

Propos recueillis le 30 mars 2020

Quel est ton poste exact ?

Je suis professeure agrégée de chimie, sur un poste spécifique en BTS Métiers de la Chimie. Professeure agrégée, c’est mon concours de recrutement et mon grade au sein de l’Education Nationale. Et être en poste spécifique, ça veut dire que j’ai la responsabilité d’une classe comme un prof de prépa. Je n’en ai qu’une seule que je suis pendant deux ans, en première et seconde année de BTS.

Les postes spécifiques sont créés quand l’Éducation Nationale considère qu’il faut des compétences spécifiques et un professeur dédié à une classe uniquement. 

Quelles ont été tes études ?

J’ai fait deux ans de classe préparatoire, PCSI (Physique, Chimie et Sciences de l’Ingénieur) et PC* (Physique Chimie Etoile). Après j’ai été à l’École Normale Supérieure (ENS) à Lyon. 

À mon époque, on pouvait passer l’agrégation avant d’avoir un Master 2. Et pour l’ENS, on passait le concours de l’agrégation après la première année de Master. Dans mon cas, je n’ai fait qu’une troisième année de licence et une année de master, puis une année de prépa pour obtenir l’agrégation.  Au final, universitairement parlant, j’ai un Bac+4 ; l’agrégation c’est un concours de recrutement, donc hors système universitaire. 

Quand as-tu commencé à travailler ?

J’ai fait ma première rentrée en septembre 2009. J’ai eu directement le poste que j’ai aujourd’hui.

Après onze ans sur le même poste, tu t’y plais toujours autant ?

Alors en fait, contrairement aux classes prépa, en BTS, on tourne sur deux ans. Donc pendant deux ans, je vais avoir la même classe en première et deuxième année. Il y a trois professeurs de chimie par classe parce que on a différents enseignements, donc on tourne en plus sur ces enseignements. En onze ans, je n’ai jamais enseigné plus de deux fois la même chose.

 En plus avec la nouvelle réforme, on n’a pas vraiment de routine. Chaque année est différente. C’est certes beaucoup (beaucoup !) de travail mais c’est ce qui fait que je ne m’ennuie pas !

© Pixabay

Qu’est ce qui t’a donné envie de devenir professeure de chimie ? 

Professeure, depuis toujours. Je ne me souviens pas avoir eu envie de faire autre chose. J’ai toujours aimé les compétences disciplinaires, j’aimais bien l’école, j’aimais bien apprendre. Et puis j’aime bien parler, être avec du monde. Je n’aurais pas pu avoir un métier où je suis seule devant un ordinateur. 

Puis la chimie, ça m’est venu en prépa. J’ai longtemps hésité avec les maths. Mais mes années de prépa m’ont confirmé que je préférais la chimie, à cause du côté expérimental notamment.

Pour toi, quel est le rôle du professeur ?

Alors moi, je forme à un métier directement. J’ai une application plutôt concrète. Donc bien sûr, mon rôle est de transmettre des connaissances, mais vu le niveau que j’enseigne, c’est aussi de former au milieu professionnel

Ce côté éducateur, on le voit de plus en plus aujourd’hui. On doit leur apprendre à se comporter correctement, à communiquer correctement avec un adulte, à écrire un mail, etc. Donc beaucoup de missions qui vont bien au-delà de la transmission de connaissances. Parce que les parents n’ont pas forcément les moyens ni le temps de jouer leur rôle à fond.

Ça fait énormément de choses à gérer et ça joue beaucoup dans l’épuisement du corps enseignant. En fait, tu es très vite confronté à l’impression que tu ne vas pas y arriver. Et encore, moi beaucoup moins que d’autres car je n’ai qu’une seule classe, comparé aux enseignants qui ont cinq voire dix classes avec des missions impossibles…

Les élèves ont des problèmes sociaux : ils ne savent pas bien écrire le français, ils ne parlent pas correctement, ils ne sont pas bien éduqués, ils ne savent pas se concentrer… Ce que je vois, un peu moins que d’autres, c’est qu’en début d’une heure de cours, je me retrouve à leur demander de s’assoir, à vérifier qu’ils aient une feuille et un crayon. Et j’enseigne en post-bac ! C’est ce qui fait que c’est décourageant parfois. 

Pour toi, quelle est la qualité requise pour être professeur ?

Oh bah il en faut beaucoup ! *rires* Comme dans beaucoup de métiers !

Il faut de la patience, des qualités humaines d’écoute, de l’empathie, et il faut être à l’aise à l’oral

En fait, il faut faire du théâtre. Il y a une forme de représentation, un côté très théâtral. Quand tu rentres en cours, tu rentres sur scène. Et si tu n’es pas à l’aise, si tu n’as pas le charisme et que tu n’es pas capable d’avoir de la prestance orale, ce n’est pas possible. Même si tu es très fort disciplinairement parlant !

Il faut être capable de réagir très vite à des situations très diverses. Et des situations pas forcément anticipables. Avoir une grande capacité d’adaptation en fait.

As-tu un but de fin d’études pour toute ta classe ?

Mes élèves passent un diplôme qui ouvre directement sur un travail. Donc moi, mon objectif, c’est qu’ils deviennent des techniciens appréciés en entreprise.

Mais c’est un dosage de compétences disciplinaires et de compétences humaines. Les deux sont travaillés et font partie de l’objectif final. 

Donc oui, j’ai un objectif mais il est un peu facile, car je les prépare à un diplôme bien établi, bien défini, donc je sais où je veux aller. 

Pendant le confinement, comment fais-tu classe à tes élèves ?

Je leur fais beaucoup de vidéos. Mes élèves aiment bien mais je leur fais en différé, car j’ai des enfants en bas âge à la maison. Donc je ne peux pas faire de cours en direct. J’essaie de les contacter en visio une fois par semaine pour faire le point.

J’ai aussi organisé des documents, des ressources, des polycopiés à trous, etc, sur Google Classroom. Et à côté, je leur fais des vidéos avec Loom où je fais une vidéo capture d’écran que je leur poste. Je complète les polycopiés avec eux, je fais les applications numériques en direct, je tape les réponses en même temps, je fais des schémas, etc, pour que ce soit un peu vivant. Comme ça, ils ne sont pas tout seuls avec leurs polycopiés, ils entendent ma voix, ils voient mes corrections.

Et une fois par semaine, je leur fais un test en ligne d’à peu près une heure-une heure et demie sur une interface qui s’appelle Tactileo , qui me permet de récupérer leurs réponses automatiquement sur un fichier. 

Les étudiants sont contents, ils disent que c’est vivant, ils arrivent à bosser. Après il y a des limites et tu peux voir beaucoup d’articles dessus, à cause de la fracture numérique. Il y a des élèves qui ont beaucoup moins accès aux ordinateurs et qui sont donc beaucoup plus gênés pour organiser leur temps de travail. Par exemple, s’il n’y a qu’un seul ordinateur pour trois frères et sœurs, si la connexion est mauvaise, si les parents travaillent et qu’ils doivent gérer les courses et les petits frères et sœurs, etc. Donc c’est très inégalitaire par rapport au fait d’aller en cours, avec un prof en face de soi. Et puis il y a ceux qui posent beaucoup de questions sur les tchats à qui je réponds, et puis ceux qui restent silencieux. Avec deux mois de confinement, tu ne peux pas les débloquer, ils vont donc progresser moins vite que d’autres. Ça ne remplace pas le direct. 

©Giphy

Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ?

Ça étonne souvent quand je dis ça, mais j’aime bien que le travail soit varié sur une journée. Bien sûr les programmes ne changent pas toujours, même si moi j’ai un poste bien particulier avec très peu de routine. 

J’ai des moments où je corrige des copies, d’autres où je vais réfléchir à un problème scientifique parce que je veux rédiger un sujet de devoir surveillé donc je lis des publications, je réfléchis, je fais des calculs, etc. Dans ces instants je fais vraiment des sciences. Et puis il y a des moments où je suis avec les élèves en cours, où je suis en travaux pratiques (TP)… 

Donc sur une journée, je ne fais jamais de 8h à 18h la même chose. Et ça j’aime bien.

Qu’est ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Euh… Qu’est-ce que je n’aime pas dans mon métier… Euh… Tout ce qu’on ne voit pas. Ce n’est pas forcément relatif au métier en fait

Les rapports pas simples avec la hiérarchie – qu’on n’a pas vraiment – c’est-à-dire qu’on a une hiérarchie qui est composée de personnels de direction mais qui ne sont pas compétents dans le domaine dans lequel on enseigne, et d’inspecteurs qui ne savent pas vraiment toujours ce qu’on fait sur le terrain. Quand on a un problème, souvent il n’est pas résolu, on reste seul à faire face.

Et puis on a un manque de moyens, ce qui provoque une certaine inertie. Dès que l’on veut faire un projet, on nous met des bâtons dans les roues. Par exemple, dans mon lycée, ce qui nous gonfle avec tous mes collègues, c’est qu’on n’a qu’une seule imprimante qui marche en salle des profs. Pour 200 profs !

Pareil, ce que je n’aime pas, c’est que les journées sont crevantes, mais elles le sont car les élèves ont énormément de difficultés et sont nombreux par classe. Cela n’est pas inhérent au métier, c’est relatif à la société dans son ensemble et au manque de moyens. Mais ce sont toutes ces petites choses qui font que les conditions se sont bien dégradées. 

Mais ce n’est pas relatif au métier tu vois… Le métier, je n’ai pas vraiment de critiques à lui faire !

©Giphy

Qu’est ce qui t’énerve dans l’Éducation Nationale aujourd’hui ?

Qu’on ne nous écoute pas. On sait bien qu’il n’y a qu’une seule chose qui dicte les réformes, c’est l’argent. Et comme on manque d’argent, les choses sont faites dans le sens inverse de ce qu’il faudrait faire.

Par exemple, la réforme du bac, c’est une absurdité ! On sait très bien que c’est juste pour faire des économies, mais ils ne le disent pas et essaient de faire passer ça avec des arguments pédagogiques. À chaque difficulté, ils ferment les écoutilles et font des réformes à l’économie. Ça va créer un bac complètement local et soumis aux pressions des chefs d’établissements, des parents, donc ça ne va pas améliorer la situation. Alors que les profs sont assez unanimes quand on écoute les discours. 

C’est comme la crise de l’hôpital. Mais nous, on n’aura pas de morts dans les couloirs de l’école. Toutefois, des enfants qui apprennent mal, c’est une société qui pourrit. C’est du long terme et il faudrait accepter de le voir ainsi. Oui, l’Éducation ça n’a pas de prix, mais ils en mettent un.  

Durant l’année scolaire, quelle est l’activité que tu préfères faire avec tes élèves ?

J’aime bien les activités expérimentales. Mon temps se divise à moitié  par des cours théoriques, et à moitié par des TP en laboratoire. Et j’aime bien les heures de labo. Tu as un rapport très différent avec les élèves car tu es côte à côte et non en face d’eux.

Un petit mot pour les parents ou futurs parents ?

Intéressez-vous à la scolarité de vos enfants. 

Suivre la scolarité de leurs enfants et prendre parti du côté des enseignants. Il faut faire bloc avec les enseignants et ne pas tenir le discours “T’as eu une mauvaise note mais ce n’est pas de ta faute, c’est la prof”. Être du côté des enseignants, parce que les enseignants, ils voient les enfants autrement et c’est leur métier.

Et de s’intéresser à ce que font leurs enfants à l’école ! On ne leur demande pas de comprendre ou de faire les devoirs, mais de s’intéresser et de montrer à leurs enfants que ça les intéresse. C’est important d’être impliqué.

© Gillian Callison, Pixabay

Merci beaucoup Odile M. d’avoir partagé ton expérience avec nous ! A bientôt pour un prochain témoignage !

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